On n’en finit pas de regarder le travail, il n’en finit pas de nous envahir et
pourtant il semble se dissoudre. Échapper à chacun, remplacé par un sentiment
d’inanité. Échapper à ceux qui le mobilisent [quel dirigeant se préoccupe vraiment
de la réalité du travail ? P.Y. GOMEZ, dans Le travail invisible, décrit limpidement
sa disparition des systèmes de gouvernance]. Aux observateurs et analystes,
économistes, sociologues, ergonomes, psychologues du travail, il offre
essentiellement de fâcheuses situations à décortiquer, de nombreuses
meurtrissures à panser, des projets de transformations pavés de bonnes intentions.
Des philosophes s’emparent du sujet depuis quelque temps : en témoigne la
publication toute récente chez Octarès de l’ouvrage collectif Le philosophe et
l’enquête de terrain : le cas du travail contemporain. Ces travaux interrogent d’un
point de vue philosophique la notion de terrain ainsi que sa pratique au travers des
questions du travail.
Mais plus précisément, c’est l’esthétique que nous souhaitons mobiliser : cet
angle de vue que la philosophie restreint habituellement au domaine de l’art et que
nous nous proposons d’appliquer au travail. L’esthétique comme possibilité d’être
touché par des formes, d’entrevoir une forme de résonance grâce aux sens, de
trouver une cohérence systémique qui réjouit, une cohérence de tout ce qui ne se
dit pas forcément mais se ressent. C’est, dans des univers complexes que les mots
ne parviennent pas toujours à éclairer, se laisser aborder par les sensations et
percevoir une cohérence d’une autre nature.
L’esthétique comme triple possibilité :
- de saisir une autre réalité du travail créatrice & nourrie par les sens
- d’imaginer de nouveaux modes et supports d’intervention pour
recueillir une matière qui sinon reste invisible
- de laisser émerger d’autre voies possibles pour agir sur les
organisations du travail
L’esthétique pourrait-elle avoir une place dans l’univers du travail, normalisé,
rationalisé, organisé, formalisé, verbalisé ? Pourrait-elle soutenir de nouvelles
orientations à prendre ? Pourrait-on aller jusqu’à imaginer une politique de
l’esthétique ? Et quels bénéfices pourrait-on en attendre ?